Accueillir sa famille en vacances (dans son pays d'adoption)
- Marthe Rocheteau

- 24 juil.
- 3 min de lecture
Recevoir sa famille venue du pays d'origine peut être un moment de joie et de retrouvailles…mais il vient aussi avec son lot de paradoxes, d'émotions et de pressions surtout quand on est soi-même en vacances… ou censé·e l'être.
Des vacances… ou pas vraiment ?
Pour plusieurs personnes, les vacances d'été sont les seules vraies périodes de repos dans l'année. Or, quand la famille débarque, la dynamique bascule : c'est soudain le rythme des invité·es qui domine. On devient organisateur·rice, guide touristique, traducteur·rice culturel·le, cuisinier·ère, logisticien·ne. Le repos est mis entre parenthèses. Et pourtant, on se dit qu'on ne peut pas faire autrement : « C'est leur seul voyage », « je veux leur faire plaisir », « c'est important qu'ils comprennent ma vie ici ».
Au-delà de la langue, on devient aussi traducteur·rice de codes sociaux, d'habitudes, de références. Expliquer pourquoi les choses fonctionnent ainsi, pourquoi on se met en file en attendant l’autobus…. Cette médiation constante entre deux univers culturels peut demander beaucoup d’énergie.
Un stress bien réel
L'intensité émotionnelle est souvent élevée. Ce n'est pas qu'une simple visite : c'est souvent une tentative de (re)connexion, de validation, parfois de réconciliation. On peut vouloir prouver qu'on a fait le bon choix, qu'on a une vie « réussie ». On peut avoir envie que cela soit mémorable, que cela recolle les morceaux, avoir envie de rattraper le temps perdu.
On porte parfois aussi le poids de représenter « la réussite de l'immigration » : que notre maison soit impeccable, que nos enfants parlent bien français, que notre intégration paraisse fluide. Comme si montrer nos difficultés équivalait à trahir notre choix de vie.
Cela peut aussi réveiller un « autre soi », celui ou celle qu'on pensait avoir laissé derrière. Les vieilles dynamiques familiales peuvent ressurgir : on redevient la fille qui prend soin de tout le monde, le fils invisible, celle ou celui qui fait des compromis pour préserver la paix. Ces retrouvailles agissent parfois comme une machine à remonter le temps relationnel, nous ramenant à des réflexes qu'on croyait dépassés.
Le décalage peut être troublant : on se rend compte qu'on a évolué, intégré de nouveaux codes, développé de nouvelles façons d'être. Mais face aux regards familiers, cette évolution peut parfois ressembler à une perte d'authenticité.
Cela peut générer de la tension intérieure, de l'irritabilité ou un sentiment diffus d'étouffement.
Recevoir, dans ce contexte, c'est peut-être aussi se redéfinir.

Pour préserver sa santé psychologique :
1. nommer ses besoins d'humain·e
Exprimer clairement, dès le départ, que ce séjour est aussi un moment de repos pour soi.
2. créer des espaces de respiration
Intégrer des temps de pause réels dans la planification : une journée libre sans programme, un après-midi où chacun fait à son rythme, une soirée à deux ou seul·e pour souffler.
3. accepter de ne pas tout montrer
Il n'est pas nécessaire d'expliquer chaque nuance de sa vie ou d'en faire une démonstration constante. Être ensemble, être là peut suffire.
4. repérer les signaux de surcharge
Irritabilité, sommeil perturbé, maux physiques, tendance à vouloir « fuir » : des signes que le trop-plein guette. Mieux vaut ajuster tôt que de s'épuiser en silence.
5. faire équipe
Clarifier les attentes, déléguer certaines tâches, proposer des moments d'autonomie. Recevoir ne signifie pas tout porter. En fait, recevoir dans ce contexte peut surtout vouloir dire « vivre des vacances ensemble ».
Et ces vacances peuvent aussi être un espace de vérité
Accueillir sa famille, c'est aussi se rencontrer soi-même à un autre moment de son parcours. C'est accepter que l'émotion soit là, que l'envie de bien faire cohabite avec la fatigue, que l'amour coexiste avec la frustration. Et que cela ne fait pas de nous une mauvaise personne ni un mauvais hôte.
C'est peut-être même, quelque part, une invitation à poser des limites saines, à se montrer tel·le qu'on est devenu·e, à créer des souvenirs vrais, et pas seulement des souvenirs « parfaits ».
La richesse d'une expérience complexe
Cette réflexion sur l'accueil familial ne fait qu'effleurer la richesse de cette expérience. Chaque situation porte ses nuances : recevoir ses parents âgés n'est pas la même chose qu'accueillir ses frères et sœurs, une visite de deux semaines génère des défis différents d'un séjour de deux mois. Il y a aussi l'impact sur nos propres enfants témoins de ces négociations identitaires, les enjeux financiers qui s'ajoutent parfois aux pressions émotionnelles, cette culpabilité qui peut persister après leur départ ( ex : "ai-je été assez présent·e ?"), et cette phase de récupération qui suit, quand on se retrouve avec soi-même.
Autant de facettes d'une réalité que vivent, chaque été, des milliers de familles immigrantes. Une réalité qui mérite d'être nommée, comprise, et surtout... vécue avec bienveillance envers soi-même.
Bonnes vacances,
Marthe







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